2021

MIDI C’EST L’HEURE !

Vivre l’expérience du présent photographique

DEUX ATELIERS-PERFORMANCES DE PHOTOGRAPHIE DOCUMENTAIRE
LES SAMEDI ET DIMANCHE 18 & 19 SEPTEMBRE 2021

En collaboration avec Galerie Huit Arles, 8 rue de la Calade, 13200, Arles
Atelier-performance inscrit dans le cadre de l’Été Indien(S)

PRÉSENTATION DE L’ATELIER


Certaines photographies sont des condensés de temps, à Photo Doc. nous les appelons «apprenantes» car si elles restent en lien avec le passé du photographe, elles peuvent aussi éclairer son futur. Souvent porteuses de l’histoire intime du photographe, ces images permettent d’établir un pont avec l’intime de l’Autre : un échange fructueux, dans le présent, qui permet les mises en conscience pour rompre avec les anciens paradigmes.

C’est au cours d’une création partagée lors d’une déambulation autour de neuf images « apprenantes » de la photographe et chercheuse Christine Delory-Momberger que nous entrerons dans le présent photographique.

Christine Delory-Momberger est accompagnée de Charlotte Flossaut et Valentin Bardawil, fondatrice, co-fondateur de Photo Doc.

LE RENDU


A / UN PRÉSENT POUR UNE EXPÉRIENCE INTIME

Le plus court chemin de moi à moi-même passe par l’autre.
Paul Ricœur


À une époque où les repères démocratiques de la société sont de plus en plus flous et remis en question, avec ces deux ateliers, nous avons voulu explorer la façon dont les nouvelles écritures de la photographie documentaire, et en particulier l’intime du photographe documentaire, pouvait aider à constituer de nouveaux repères de construction d’un en-commun tout autant artistique que politique.

Pour reprendre les propos du philosophe Michael Fœssel dans son livre La Privation de l’intime, la sphère intime participe « de la quête d’une identité personnelle, il oblige à s’aventurer dans des zones étranges, vertigineuses, où le « moi » découvre des parts de lui-même qu’il ne soupçonnait pas et dont il n’est pas maître. Loin de constituer une sphère protectrice et rassurante, l’intime a partie liée avec l’étrange, le voluptueux et l’inquiétant, car il est précisément non maîtrisable, insaisissable. La relation amoureuse est par excellence le lieu de l’intime où le sujet amoureux s’abandonne, se dessaisit de lui-même, pour renaître dans le désir et l’amour d’un autre, au risque de s’égarer. Blessure intime, blessure de la trahison amoureuse.

Irréductible à la solitude intérieure et à toute tentative de maîtrise, l’intime devient un enjeu politique majeur car, dans des sociétés de surveillance et de contrôle, il recèle des réserves inouïes de contestation et un pouvoir de résonance inépuisable. La parole intime est toujours une parole poétique, un haut foyer de résistance et de création qui déjoue toutes les entreprises de violation des corps et d’instrumentalisation des consciences. »

C’est au cours d’une déambulation devant 9 images « apprenantes » de la photographe Christine Delory-Momberger que nous avons sollicité la parole intime des participants. Les images étaient appelées « apprenantes » car pendant la quinzaine d’années qu’avait durée l’enquête photographique menée par Christine, chacune d’elles marquait un passage décisif dans son histoire personnelle. Ce passage était révélé par un texte en regard de l’image. Il était demandé à chaque participant de choisir au moins une image « apprenante » et de nous raconter une évocation, une histoire autour de celle-ci.

Trois « présents » photographiques allaient être vécus durant l’atelier. Le premier venait de la parole livrée par les participants devant l’image qu’ils avaient choisie. Le deuxième venait de la prise de vue que la photographe allait réalisée durant la déambulation pour enregistrer à « jamais » ce partage d’intime. Et enfin le présent de l’histoire dans lequel disait être entrée Christine et qui marquait la fin de son cycle mémoriel et ses 15 années d’enquête.


B / LES 9 IMAGES «APPRENANTES» LEGENDÉES PAR LA PHOTOGRAPHE


C / LES PAROLES DES PARTICIPANTS : UN PARTAGE DE L’INTIME

Atelier du 18 septembre

Helena, Photo n°2, Ma vérité, ma légende…
Je suis tchèque et mon fils veut savoir d’où je viens. Avant sa naissance, j’ai vécu sur plusieurs continents, plusieurs vies, alors qu’est-ce que je peux lui raconter ? Il ne me comprendra pas parce qu’il a une autre culture que la mienne. Il veut savoir et il me dit raconte-moi la vérité, la vie, pas la légende. Parce que la légende c’est la symbiose de tout ce que j’ai vécu, parce qu’on oublie ou on écarte ce qui était difficile. Dans le propos de Christine, qu’est-ce qu’elle veut chercher ? Où est le sens, qu’elle est la vérité ? Mon fils va essayer comprendre, ce sera toujours une légende pour lui. Pour moi la vérité, c’est entre nous deux, parler de nos sentiments… La vérité est toujours déformée. La vérité n’existe pas ce n’est que la légende.

Sabine, Photo n°6, La matière vivante…
Je vois du minéral broyé qui évolue dans un mouvement, mais il y a de la fluidité.
On parle de matière mais elle est vivante, ce n’est pas le mouvement qui donne le côté vivant. C’est autre chose. Je ne me suis pas attaché au texte. J’ai essayé de ne pas me laisser dévier par les mots, ni par l’émotion. L’idée est de ne pas sentir, de ne pas interférer dans ce qui est là.

Isabelle, Photo n°6, La traversée…
Je vois quelque chose de très dense avec une certaine obscurité de ce qui se passe derrière mais avec une transparence incroyable. J’ai l’impression d’être déjà de l’autre côté de ce rideau qui est dense et puissant. Il y a une transparence qui me transporte derrière. D’ailleurs il y a une partie avec une porte un peu ouverte sur le côté qui m’emporte derrière avec un mouvement vers le ciel… mais qui m’emporte derrière…

Emilie, Photo n°2, Le point de départ…
Celle-là me plait, parce que c’est le premier pas, la trace, l’inconnu… On a tous ça un point de départ. Ça pourrait être une image, comme un objet, on a tous connu ça. C’est l’universel. L’idée du point de départ m’intéresse, me plait, il ramène à l’universel.  C’est difficile parce qu’on a eu son récit avant, la résonnance est un peu travaillée.

Stéphanie, Photo n°1, Mon choix…
J’ai hésité entre deux photos. Mais voilà la photo que je préfère parce que c’est mon goût photographique. Elle est super angoissante, il y a du mouvement, un truc super touchant. Maintenant j’en prendrais une autre si je devais entrer en résonnance avec une histoire vécue, avec l’autre photo (photo n°2), je me suis retrouvée en relation avec des photos de famille et je ne savais pas qui était sur la photo. Mais je ne l’ai pas choisi parce que l’image ne me touchait pas. Alors que celle-là n’évoque rien de mon histoire familiale mais elle me touche artistiquement. Il y a quelque chose d’oppressant qui va à l’encontre du côté figé de cette femme. Il y a ce noir et blanc très beau. Il n’y a rien d’une histoire personnelle dans cette photo, c’est juste une émotion face à une photo.

Laurent, Photo n°3, Le théâtre…
Je me suis vu devant une photo de plateau en total opposition au texte, j’y voyais quelque chose de très organisée alors qu’il s’agit d’un accident. J’y vois un plateau, un théâtre et des spectateurs invisibles qui patientent. Cette femme va être happée vers quelque chose. Le noir est très beau. Il est maitrisé. J’ai aimé opposer ce que je ressentais de cette image au texte. Il y a le rideau de l’obturateur et le rideau du théâtre.

Pascal, Image n°5, L’Écrivain public…
Il y a dans cette photo une résonnance très contemporaine, elle me rappelle la mise en page de certains supports de titres qu’on retrouve sur le web. Je pense à la mise en page des Jours avec des surimpressions. J’y vois aussi une vraie résonnance avec une autre photographie qui s’appelle Insurrection Créatrice (image n°7), entre ces deux photos, les Maitres du désordres et Insurrection créatrice, l’enjeu est d’arriver à l’instant incisif et c’est le travail que fait cette artiste qui peut s’apparenter à ce que fait un écrivain public mais pour elle-même. Je trouve intéressant que des photographes s’emparent de leur propre vie ou de la vie des autres et ça donne des choses très originales, dans toutes les auto-fictions, il y a une part de fiction.

Nicole, Image n°2, Nous sommes des gens d’histoires
Je me suis arrêtée sur cette photo qui me touche beaucoup, c’est un peu ce que je trouve dans l’histoire de ma famille. Souvent on se crée des mythologies, des fictions parce qu’ils ne sont plus là alors on a besoin de se raconter leurs histoires à leur place. Cette image me fait penser à ça. C’est des gens qui sont flous, des inconnus… On a toujours besoin de s’inventer des mythologies, des fictions, même si on a que des bribes de réalités. Nous sommes des gens d’histoires et nous nous construisons avec elles.

Atelier du 19 septembre

Scarlette, Image 8, De l’album imaginaire à l’album de famille
Cette photo est un peu pour moi la synthèse de ce que j’ai entendu sur l’enquête /quête de Christine. Toute cette enquête est la recherche d’un album de famille qui n’existe pas. Pour moi qui suis photographe, la photographie documentaire relève de l’album de famille, en photographiant, le photographe cherche des familles. Alors quand Christine dit qu’elle arrive « au terme de son voyage » et photographie sa fille, je me dis qu’en fait, cette fin annonce un début, à partir d’aujourd’hui, elle va pouvoir faire son album de famille à elle. Après avoir reconstruit son album imaginaire elle peut maintenant commencer à reconstruire son album de famille pour la suite…

Martine, Image n°4, Faire exister les fantômes
Cette image montre des enfants dont on reconnaît enfin l’existence. Et c’est ce qui m’émeut, comme s’ils disaient : « enfin on est à notre place ». C’est étrange car pendant la partie conférence, j’ai vu le visage triangulaire d’un enfant sur le mur derrière Christine, comme s’ils étaient là. Ces enfants ne sont plus des fantômes maintenant ils existent, ils ne flottent plus.

Hervé, Image 2, La famille s’est tue…
Ce qui me plait dans cette image, et qui entre dans l’histoire de Christine, c’est le masque sur le personnage. Le personnage s’est tu, la famille s’est tue et c’est ce que montre cette image. En ce qui concerne mon intime, j’ai relié un texte à une autre photo. Le texte n°3 avec l’image 6. Le texte parle de la disparition de la mère de Christine et la fenêtre me fait penser à celle de chez ma mère et je viens de perdre ma mère… et en discutant, je pense à mon frère que j’ai perdu il y a 35 ans et les premières photos que j’ai réalisées c’étaient des clairs obscurs très contrastés dans les cimetières.

Marie-Anne, Image 3, Les chaises occupées…
J’aime cette photo, elle m’évoque beaucoup et si on parle de réminiscence, on a la fin d’une vie, d’une mère qui s’enfonce dans la noirceur mais pour moi c’est joyeux, il y a un côté printanier, fleuri et si je suis moi-même dans le souvenir, ces deux sièges évoquent mes parents et leur mémoire est toujours très positive très optimiste. Les sièges ont beau êtres vides, ils sont là et je leur dois tout.

Raphaël, Image 7, Le fantôme…
Avant d’avoir lu le texte j’ai vu un rapport au mourir dans cette photo. Il y a quelque chose du deuil, une solennité, qui est là. Tous les temps se cumulent dans cette photo. Pleins de couches se superposent et viennent se condenser, il y a une densité… Un fantôme est là.

Didier, Image 2, Une photo mystérieuse…
Elle me fait penser à Auguste Sanders, au restaurateur qui pose et fait bonne figure même s’il n’a pas beaucoup de clients. Elle me fait penser à cette photo forte pleines de mystères.

, image 8
Cette photo de la fille de Christine m’a renvoyé tout de suite à ma propre fille qui a dix-sept ans. Nos histoires et nos filles n’ont rien à voir mais il y a une force et une intensité dans son regard qui sont très puissantes de sens. L’image est à la fois très animée et elle vous parle en tant que mère : « Regarde-moi », « Passe le relai, je le prends, libère-toi ». J’ai vu tout cela.


D / LES 9 INSTANTS DÉCISIFS DE CHRISTINE


E / LE POUVOIR DE L’INTIME

« Nos échanges ont tissé des liens qu’on ne soupçonnait pas… »

« Ce que j’ai trouvé étonnant c’est que toutes ces photographies m’ont bouleversée, ont bouleversé quelque chose chez moi, ont raconté une histoire qui m’appartient. Il y avait un écho en moi, un écho intime qui me questionne encore. »

Voilà quelques phrases retenues lors de l’échange final. Il est certain qu’une parole intime a été dite, écoutée, enregistrée. Qu’un dialogue profond s’est ouvert entre les uns et les autres, entre nous…
Chacun maintenant est libre à partir du souvenir du moment vécu ou des paroles rapportées ici de prolonger son histoire personnelle, de répondre peut-être plus clairement à la mystérieuse question du « qui suis-je » ou du « avec qui suis-je » que ces échanges permettent.
On pourrait considérer cette expérience comme un pur exercice intellectuel, une exploration qui ne prête pas à conséquence et ne contribue pas vraiment à la transformation des êtres par la photographie à laquelle nous prétendons.
Pour tenter de vous prouvez le contraire, prenons juste cet exemple avec les paroles de Laurent devant l’image apprenante n°3, il dit : « Je me suis vu devant une photo de plateau en total opposition au texte, j’y voyais quelque chose de très organisée alors qu’il s’agit d’un accident. J’y vois un plateau, un théâtre et des spectateurs invisibles qui patientent. Cette femme va être happée vers quelque chose. Le noir est très beau. Il est maitrisé. J’ai aimé opposer ce que je ressentais de cette image au texte… Il y a le rideau de l’obturateur et le rideau du théâtre. »

Dans notre livre Insurrection créatrice et photographie documentaire nous revenons sur une performance théâtrale que nous avons montée avec des acteurs-migrants du Good Chance Théâtre autour d’un film photographique de Christine et de son personnage central : sa mère.
Cette femme va disparaître à 99 ans, juste quelques jours avant la représentation qui a lieu le 14 mars 2020. Elle s’est éteinte le 3 mars, exactement, et elle sera enterrée le 11. Les chiffres sont troublants, car sa mort arrive exactement à 11 jours de la représentation et l’enterrement, à seulement 3 jours.
En apprenant le décès de cette femme, les acteurs-migrants qui ont tous côtoyés la mort de prêt ou de loin, ont voulu lui dédicacer la représentation.

Alors quand Laurent évoque le théâtre en voyant cette photo sans connaître cette histoire, il donne à son tour un nouveau sens prémonitoire à cette image faite en 2015 par Christine. Ce n’est plus seulement un obturateur bloqué qui annonce le départ d’une mère, il y a maintenant aussi le lien avec le théâtre… Il prolonge un dialogue mystérieux sur les relations troublantes qui existent entre la vie et l’art. N’est pas ce que nous cherchons désespérément dans la création : donner du sens à nos vies ?


F / MIDI C’EST L’HEURE

L’exercice est difficile mais nécessaire selon nous, voilà la photo que nous gardons de ce « maintenant » partagé avec vous. Peut être qu’en lisant ce rendu votre choix sera autre…



L'INTIME EN PARTAGE

Christine Delory-Momberger & Valentin Bardawil

LES SAMEDIS 30 JANVIER ET 6 FÉVRIER 2021,
15h00 - 18h00


Premier atelier photographique développé par Photo Doc, L’Intime en Partage est une initiation au pouvoir de l’intime du photographe. Il a réuni sur deux après-midi 4 participants en présentiel. Le cinquième a travaillé en zoom avec les deux organisateurs.

PRÉSENTATION DE L’ATELIER


En s’appuyant sur la réalisation d’un sujet personnel, les participants ont exploré comment le mettre en lien avec une démarche photographique s’inscrivant dans l’intime, entendu comme un processus social qui participe à la construction des identités. L’intime n’est pas à confondre avec l’intimité, c’est une notion hautement politique, un vecteur de connaissance, d’altérité et de transformation de soi et du monde.
Il s’est agi, au cours de cet atelier, d’identifier le thème majeur qui sous-tend le travail du photographe et de le relier à une histoire personnelle et / ou collective.

Chacun des participants a trouvé dans un accompagnement photographique le mouvement interne de ses images et, par un processus d’en-quête, a été accompagné pour mettre des mots sur son histoire, lui ouvrant des voies de compréhension.

C’est après avoir lu l’ébauche d’un texte écrit par les photographes après leur première journée, que Charlotte Flossaut est intervenue lors de la deuxième séance pour les accompagner dans un nouveau choix restreint (5 photographies) plus en phase avec leur histoire personnelle.

Les textes qui suivent sont un extrait ou une courte synthèse des récits écrits par chacun des participants pendant l’atelier.

LE RENDU


Alexis Vettoretti
Hôtel de la dernière chance

www.alexisvettoretti.com


Mon projet photographique est d’aller vers ces hommes seuls qui résident à demeure en hôtel social. Pourquoi est-ce que je m'intéresse à cette population en particulier ? Pourquoi suis-je «attiré» par elle ? Je dirais que d’une certaine manière, il s’agit avant tout d’exorciser mes peurs. Les gens que je «prends en photo» sont souvent dans la «zone grise». Une zone boueuse, dont il est difficile de sortir quand on y met le pied. La boue s’accroche aux chaussures et laisse des traces. Pour ces hommes dans l’hôtel, par exemple, elle empêche d’agir, pire de réagir. Et puis pourquoi réagir ? Ces hommes dans l’hôtel pensent avoir finalement de la chance de pouvoir regarder le monde extérieur à travers leur fenêtre. Et moi j’ai aussi la chance de le faire à travers mon appareil photo. Ces gens me font peur. Je crains de me retrouver dans cette chambre, à leur place, d’être leur voisin. J'exorcise cette peur sans eau bénite, avec un appareil photo à la place du crucifix.



Roseline Bigi
Petits instants essentiels

www.roselinebigi.com

Je me suis mise en quête dans mon corpus d’images personnelles de ces précieux petits instants essentiels, ces infimes fragments de temps forts qu’on aimerait voir perdurer comme une tentative de reconstitution d’un puzzle dont les pièces à assembler conjugueraient temps passé, présent et pourquoi pas à venir.
J’ai navigué le long des rives de ma mémoire. J‘ai franchi des écluses comme autant d’étapes en descendant la Seine pour remonter, pas à pas vers mes origines maritimes et havraises. J’ai perdu mon chemin dans d’obscures forêts vosgiennes. J’ai suivi le fil de mes souvenirs et j’ai retrouvé le geste initiateur paternel qui a orienté ma quête photographique. Je suis allée à la rencontre du Havre, ma ville natale reconstruite, véritable déclencheur de mon processus créatif basé sur la déconstruction-reconstruction. J’ai désiré exhumer des fragments d’un temps passé en menant une enquête à la fois documentaire et narrative pour construire un nouveau récit. 

Je vous invite à m’emboiter le pas dans les interstices de la mémoire où se révèlent la présence des absents à travers leurs traces et à cheminer ensemble dans les méandres de notre intime individuel et collectif.




Nadia Bijarch
From the block

www.nadia-photography.com

« Tu entends avec les yeux » m’a-t-on dit un jour. Cette phrase si singulière résonne aujourd'hui en moi comme une évidence. Entendre avec les yeux. Entendre ces territoires que l'on met sous silence. Entendre ces âmes que l’on évite de croiser. Entendre ces détails que l'on refuse de regarder. Entendre cette réalité que l’on essaie vainement de cacher. À chaque fois que j'appuie sur le déclencheur, j'entends ce doux murmure. Celui qui me rappelle que je suis à ma place. J'entends que ce monde m'appartient. J'entends que je lui appartiens. J'entends l'espoir d'un lendemain. « From the block ». Des fragments qui ne font qu’un. Une histoire suspendue, infinie, universelle. Une ode urbaine. Impossible à étouffer. Entendre avec les yeux. Aimer avec les yeux. Vivre avec les yeux. Peu importe l’écho.




Françoise Lambert
Monsieur H & Souvenir du futur

www.francoise-lambert.com

Monsieur H., pensais-je, était né l’été dernier d’une photographie de mon compagnon vu de dos, portant un chapeau de paille. Certes, celle-ci signe l’entrée en scène du personnage de ma série éponyme, en cours. Mais n’était-il pas dans les limbes depuis des temps plus anciens ?

Alors je me souviens. Petite fille, je joue à faire des photographies imaginaires de mon frère déguisé, avec un vieux Kinax à soufflets que mes parents ont délaissé pour une caméra 8. Cette réminiscence déclenche un autre souvenir. Je n’ai pas encore rencontré Alice, mais j’ai trouvé deux jeux : le premier consiste à « marcher au plafond », à arpenter un nouveau monde qui prend forme via un petit miroir tenu entre mes mains et dirigé vers le haut. Dans le second jeu — je saurai beaucoup plus tard que les surréalistes le pratiquaient et qu’ils l’ont filmé — je convoque mon frère et une armoire à glace découverte chez mes grands-parents paternels. Il s’agit, chacun de nous placé respectivement de chaque côté du miroir et regardant l’autre, une moitié du corps cachée par le meuble, de lever la jambe et le bras opposés — ceux qui se reflètent dans la glace — pour donner l’illusion réciproque d’une danse en lévitation.

Du lointain territoire de mon enfance venaient ainsi de m’apparaître, des liens étonnants entre le cinéma mental de mon regard d’alors et les photographies de la série « Monsieur H ».

Dans « Souvenirs du futur », une série inédite, figure une photographie de ma mère et de son compagnon attablé, un instantané qui présente les attributs d’une mise en scène. J’avais vu le tableau placé au-dessus de la tête de l’homme féru de peinture et le miroir surplombant ma mère. C’est alors que — petit miracle de la photographie — les regards des protagonistes se mettent parfaitement en place au moment où je déclenche : celui de ma mère vers le bas, rivé sur son téléphone portable, et celui de son compagnon, rêveur, vers le plafond. Bien que cette photographie soit le fruit du hasard (mais l’est-elle vraiment ?), elle fait écho au petit théâtre miniature où je mets actuellement en scène mon compagnon. Et par ricochet à l’imaginaire de mon enfance et à ses jeux de miroirs.




Frédéric Martin
L’ absente

www.fmartin.art

Plus tard, quand la série sera assez complète, je prendrai conscience que je n’ai pas travaillé sur Sandrine, mais sur moi, parce que je n’avais pas légitimité à parler de sa maladie. J’ai évoqué ce que j’ai vécu intimement de sa souffrance, de ses débats. L’amour que je lui porte. Et notre relation. C’est même plus sûrement ce que j’évoque. Ce n’est pas à proprement parler une catharsis, parce que la souffrance ne disparaît pas, parce que je ne me suis pas senti «expurgé» une fois la série achevée. C’est plutôt une mise à distance, une forme de «protection» que m’offre l’appareil. Comme s’il permettait de mettre un écran entre la violence de la réalité et ma propre souffrance liée à celle-ci. C’est aussi, je constate en écrivant ce texte, quelque chose de très intime où je nous «livre» dans notre union. Bien que très pudique dans l’évocation des sentiments, je me rends compte que malgré tout j’ai eu ce besoin de «montrer» ce que nous fûmes. Je crois que c’est, peut-être, ainsi que naît ma position d’enquêteur. J’observe tout à la fois Sandrine (en tant qu’objet), mais une part de moi devient tout autant objet de mes photographies. Simplement, je n’en ai ni la conscience, ni les mots pour le dire. Et le sujet (moi) prend des photos.





- 2020 -


L’Été Indien(s)
L’INTIME EN PARTAGE
Conférence en apéritif, vin à déguster, livre à s’offrir,

19 et 20 septembre 2020
12h00 - 13h30
Galerie Huit Arles,

8 rue de la Calade


La conférence : “L’en-quête : une exploration de l’intime dans la photographie documentaire comme vecteur de démocratie sensible” avec Christine Delory-Momberger et Valentin Bardawil, modération Charlotte Flossaut Le vin : À mon seul désir, un blanc inoubliable du Château de Montfrin Le livre : Le pouvoir de l’intime dans la photographie documentaire, par Christine Delory Monberger et Valentin Bardawil aux éditions Arnaud Bizalion

En partenariat vec Photographie.com et la Galerie Huit Arles, dans le cadre de L’Été Indien(s) #3