Flavio TARQUINIO

RÊVES, GLOIRE ET PASSION

curated by Photo Doc.
Du 9 novembre au 15 décembre, à la Photo Doc. galerie

Plus qu’une histoire d’amour.

Le temps n’est pas notre ami. Il nous dilue, nous absorbe, le temps n’a que faire de nos particularités. Il nous est toujours fatal. Pourtant il faut avoir le temps pour nous approcher des hommes et découvrir leur humanité. Sans le temps nous ne sommes rien.

J’ai rencontré Marie-Claude et Alain en 1989 dans l’un des nombreux cafés d’un quartier populaire de Lille. Ils menaient, dans les différents bars de ce quartier, une vie sociale pleine et intense. Assis à leur table, habillés comme les acteurs d’un film de Duvivier, Marie Claude et Alain ne manquaient pas une occasion pour danser sur les airs joués par Bernard l’accordéoniste. Je les ai tout de suite remarqués. Leur façon d’exprimer leurs émotions, leur énergie capable du meilleur comme du pire. Leur monde était fait d’amitiés, de fêtes et de fraternité mais aussi de trahisons, de fureur et de cruauté. Je découvris qu’ils s’aimaient d’un amour épidermique, exclusif et passionné, rien n’était assez fort pour étancher leur soif d’amour et de vie à tout prix. J’ai alors compris comment l’histoire ouvrière a contribué à créer une culture populaire et une identité forte pleine de valeurs humanistes où se dégageait une énergie communicative de la vie régie seulement par l’instant présent et flamboyant de spontanéité. Mais l’histoire de Marie-Claude et Alain n’est pas qu’une histoire d’amour, c’est aussi celle d’une population chassée des centres villes.






La Gloire des Govaert                

                « Je garde de ces moments avec Marie Claude, Alain et les autres le fort sentiment d’une construction. »

Cette construction commence pour Flavio Tarquinio, photographe à l’affut des univers populaires, par la rencontre en 1989 dans un bistrot du Nord, La Cigale, avec le couple Govaert, qu’il remarque pour sa vivacité, sa tenue soignée et la bande de potes qui voltigent autour d’eux. Marie Claude, que tous appellent Marie, sanglée dans un tailleur à rayure et Alain veste, chemise blanche et cravate flamboyante semblent présider à la valse des consos qui précèdent le bal sur les notes de Bernard l’accordéoniste.
Flavio discute avec ce duo qui l’attire, parle de tout et de rien et de son métier de photographe, sans se douter qu’il va partager pendant des années le monde très réel de ces gens sans moyen qu’on a peu l’habitude de voir photographiés, surtout de si joyeuse humeur.
« Marie, raconte Alain, montrait un vrai bonheur qu’un photographe s’intéresse à elle. » Une muse de la photographie documentaire se penche alors sur cette complicité instantanée qui fabriquera au cours des 18 prochaines années, de fêtes en moments d’intimité, la chronique photographique et épique de ces vies mêlées.
Marie Claude la baptisera elle même « Rêves Gloire et Passion » le jour de la première prise de vue en couleur de son improbable apparition en « Femme Fatale ».
Flavio conte en images (et en mots vibrants dans un livre éponyme) comment s’est bâtit la proximité, jusqu’à l’intime, avec ceux qui seront les auteurs et héros de ce feuilleton prolétaire et baroque qu’il capte au fil des jours dans son objectif.

Après les séquences réalistes en noir et blanc éclate un soap opéra hollywoodien aux costumes en technicolor, aux maquillages tragi-comiques, dégoulinants de mercurochrome et défiants toute authenticité, que seule la tendresse du regard du photographe métamorphosera en images claires obscures aux inventions poétiques sans esbroufe. Telle cette Passion du Christ où l’ami Jean Marie, sdf de son état, incarne un Jésus nimbé par la grâce et Alain un centurion brutal, casqué de papier d’alu tandis que les auréoles des anges, Mesdames Alice et Jacqueline sont des assiettes en carton.
Pour « La Sirène » Marie flottera sur une mer turquoise de sacs poubelle…

« Le but, dit Flavio, n’était pas leur transformation mais d’aller au delà de leur passivité pour révéler leur créativité… Il m’a suffi de les écouter de les encourager, de leur dire juste “pas mal”... et de sauvegarder leur spontanéité. »

Pas de pleurnicheries dans ce minuscule logement d’une maison ouvrière au fond d’une impasse où Monsieur Roland, handicapé et reclus les héberge, contre de menus services. Ils seront vite rejoints par Madame Jacqueline escroquée par son petit ami et la voisine Madame Alice… Des réfugiés de l’existence qui vont durant quelques années vivre gaiement leur exclusion.
Avec Flavio le passage du quotidien qui se raconte en noir et blanc à l’imaginaire qui s’exprime en couleur se fait dans une collaboration totale.
C’est Marie Claude et Alain qui imagine les épisodes et fabriquent les costumes avec ce qu’ils ont sous la main.
Mais Flavio, témoin régulier de leurs vies assure ne s’être jamais insérer dans leurs problèmes, n’étant pas là pour çà.
Alain plus qu’amoureux après une vie sentimentale aussi mal débutée que chaotique s’enflamme : » Marie Claude rayonnait chaque jour que dieu fit ! »

Il l’épouse enfin à l’église en juillet 1997et propose à Flavio de remettre en scène l’apogée de son amour trois mois plus tard avec l’introduction de personnages, du rocker au chanteur mexicain, tous interprétés par Alain jouant avec son héroïne noyée dans la dentelle blanche.
Malgré ce Happy End glorieux Flavio insiste que tout ce complot obstiné contre le malheur fût une histoire d’amour tragique malgré les flots de passion qui s’en dégage.
Et conclut qu’il s’agit avant tout pour lui de vivre avec les autres, et d’oser cet acte révolutionnaire qu’est la connivence...

Jean-Pascal Billaud