Interview
de Charlotte Flossaut
par Jean-Pascal Billaud   




En quoi, pour vous, en tant que Fondatrice de Photo Doc., peut-on parler de nouvelle photo documentaire ?

La nouvelle photo documentaire est l’expression contemporaine de la transformation, en conscience et impérative, de notre monde, du politique au climatique. Auparavant appréhension circonspecte de l’autre, elle est maintenant dans la reconnaissance de son pouvoir. Il n’est plus temps qu’elle se constitue en simple observatrice humaniste ou en appel à une compréhension passive et distanciée. On est maintenant dans l’urgence et chacun doit prendre part à une cause commune, auteurs, exposants ou acheteurs. Selon Valentin Bardawil, associé de la première heure, « Nous cherchons à mettre davantage de conscience dans tous nos actes, y compris photographiques, pour rendre le monde plus respirable. »


Y’a t-il de nouveaux comportements chez les photographes documentaires ?

Tout d’abord une grande humilité. Chacun y va porteur d’un questionnement mais sans idée préconçue. Ils sont perméables et disponibles face à l’inattendu au cours de leurs explorations, mais surtout ils se retrouvent au cœur de l’histoire, et finissent par partager et parfois même appartenir au sujet en question.
Edouard Beau, photographe très concerné par les raisons des flux migratoires, s’immerge sur de longues périodes notamment au Kurdistan Irakien, dont il parle couramment la langue, avec le dessein de participer, au plus près des échanges, à la sauvegarde d’une langue et d’une culture menacées. Chloé Jaffé se fait hôtesse de bar au Japon pour dit-elle être accueillie, et non infiltrée, chez les femmes de Yakusa et n’imagine pas son travail sans une complicité mutuelle. Leur pratique est sous-tendue par une volonté récurrente de mieux se comprendre dans le regard de l’autre.

Assiste–t-on à de nouvelles formes de restitutions des sujets dans la Photo Documentaire ?

Oui. Cela se manifeste dès la conception même de l’œuvre, qui, tout autant que le face à face, avec le sujet intègre un rapport essentiel à l’esthétique, dans cette recherche permanente d’un dialogue entre le sens et la forme.

Nous assistons à une prise en main de la photo documentaire qui sollicite de nouvelles formes conceptuelles telle l’intervention, de plus en plus courante, de l’expression plasticienne. Une collecte de photographies et de documents d’archives s’ajoutent quelques fois à la présentation de nombreuses expositions, accompagnées par des scénographies réinventées, incluant parfois films et enregistrements sonores… Tout ceci participe à la manifestation de l’émergence du documentaire sous tous ses aspects.

Quand un collectionneur achète une photo documentaire (ou une série) de quoi se rend-t-il acquéreur ?

Avant tout coup de cœur esthétique, il s’associe à la manifestation d’un activisme artistique hors normes dont il reconnaît le pouvoir de transformation, acceptant de changer son regard sur le monde… si ce n’est le monde.