Le zoom de mai 2024 avec Rachel Deghati

L’Entretien,

Rachel Deghati, la femme de l’ombre… et de la lumière
par Valentin Bardawil


Rachel Deghati croise la route du célèbre photographe Reza en 1989 pour devenir sa compagne de cœur et de projets. Dans ce Zoom du mois, elle nous révèle tout en délicatesse, la part de construction intime qui se cache derrière la carrière de ce photoreporter aussi célèbre que discret.

Valentin Bardawil : Alors Rachel, comment rencontres-tu Reza?

Rachel Deghati : Je rencontre Reza à 20 ans, tout juste sortie d’hypokhâgne alors que j’étais étudiante à la Sorbonne et à l’INALCO (L’institut National des Langues et Civilisations Orientales) en Hindi et chinois. Je relisais les textes d’un ami journaliste qui venait d’interviewer trois photographes iraniens, Abbas, Alfred Yaghoubzadeh et Reza. Et pour moi qui venais du monde littéraire et ne m’intéressais pas particulièrement à la photographie que je ne connaissais pas, j’ai trouvé les propos de Reza incroyables. Il y avait quelque chose dans son interview qui m’a bouleversée. Ce n’était pas juste le récit d’un correspondant de guerre qui rentre du terrain, il parlait d’humanité. Sa vision m’a absolument marquée. C’était comme s’il était sorti de lui-même et qu’il se regardait en dehors d’une boite. Et malgré ma grande timidité, je dis à cet ami qui m’avait confié ces textes que j’aimerais beaucoup rencontrer cet homme. Il m’a promis de le faire à l’occasion. Quelque temps plus tard, c’était le premier jour de l’été 1989 et cet ami m’appelle pour me proposer de l’accompagner au vernissage de Luc Choquer dans une galerie de la Cour du Bel Air à Paris. Je ne connaissais absolument personne à ce vernissage, je me sentais complètement déconnectée, comme spectatrice de ce qui se passait —les vernissages d’une manière générale, n’ont jamais été mon univers— en quittant le lieu, j’ai croisé Reza qui arrivait et on a eu un vrai coup de foudre…
Lui avait mille et une vies. Il était photoreporter et il est reparti tout de suite sur le terrain.  Nous nous sommes retrouvés cinq semaines après. Je me souviens que quelques temps après notre rencontre, lors d’un de ses reportages sur des terrains compliqués, j’ai pris la décision de ne jamais rester seulement suspendue à son souffle. Rester uniquement dans son souffle, m’aurait fait perdre le mien. Je pense qu’il a été question dans cette décision consciente, de survie, d’instinct de survie. La mienne, comme celle de notre histoire. Et c’est ainsi que nous avons toujours œuvré et « vécu » ensemble, souvent séparés physiquement mais en même temps reliés par la pensée, l’âme et la création de projets. Il y a mille et une façons d’être ensemble. Mais je ne l’ai pas trahi dans ses choix. Quand j’aime quelqu’un, et cela vaut pour tous ceux que j’aime, j’aime pour l’autre, pour l’être qu’il veut devenir mais qu’il ne connaît pas encore. Parfois en étant à l’extérieur, il est plus facile d’accompagner l’autre dans son errance car nous sommes tous quelque part en errance dans nos vies. Celui qui a une vie bien tracée me semble craindre de s’aventurer, ne serait-ce qu’un peu en dehors de son sentier rassurant. J’ai essayé d’aimer Reza en tentant d’amplifier un souffle qui n’était pas le mien et alors même que ce souffle pouvait m’amener sur des routes éloignées de moi.

VB : Avant ta rencontre avec Reza, étais-tu sensible à la culture persane? Comment la découvres-tu?

RD : J’ai grandi dans une famille française bourgeoise de province par ma mère et paysanne par mon père. Nous étions des êtres avec des vies parallèles. J’ai pris mon indépendance très jeune. C’était une autre époque dont on parle beaucoup aujourd’hui. Les jeunes adolescents s’émancipaient très tôt. La société était consentante, les parents aussi. Les mots posés sur cette émancipation n’étaient pas les mêmes que ceux qui la désignent aujourd’hui. Quand j’ai rencontré Reza, pendant les moments que nous partagions, il me lisait des poésies en persan de Rûmî, Hafez ou de Saadi. Comme musicienne (j’avais pratiqué plusieurs années le piano) j’étais très sensible à la mélodie de cette langue. C’est une langue indo-européenne d’une grande douceur. Reza me traduisait ces poèmes pour que j’en comprenne l’essence. Il vivait seul, les siens n’étaient pas encore là. Et puis il y a eu un certain nombre de drames successifs en Iran qui ont conduit certains membres de sa famille qui vivaient encore là-bas à immigrer en France.
Quand j’ai eu 22 ans, sa sœur et ses enfants, un neveu et deux nièces tous les trois assez jeunes, sont venus nous rejoindre. C’est à ce moment-là que j’ai découvert ce qu’était la notion de famille et ce que représente le foyer, les rencontres, la solidarité et les grandes tablées. Un fonctionnement de vie différent du mien. Un cercle qui s’ouvre à chaque fois. Un rapport au temps et au plaisir, autre, que je ne connaissais pas. Une forme d’Orient s’est invitée et j’ai trouvé cela très beau. Mais encore une fois ce n’était pas parce que je découvrais ce monde que je renonçais au mien et à l’endroit, l’essence, les racines d’où je venais et où j’avais grandi. Celle que je suis, ma force, vient aussi sans doute, d’absence de sentiment d’appartenance à une famille dans le sens de celle qui nous porte et nous contraint à la fois. En tous les cas quand les membres de sa famille sont arrivés, ils ne parlaient pas français et Reza est parti très vite en reportage pendant un mois et demi. C’est moi qui ai dû m’occuper de tout le monde, gérer tout cela, l’inscription des enfants à l’école, leur apprendre le français, trouver des avocats, etc… À 22 ans, cela fait grandir. J’ai appris le persan grâce à ma belle-sœur qui était enseignante en Iran et avait un sens inné de la pédagogie. Plus tard, quand nos enfants sont nés et que Reza partait en reportage, à certains moments, je leur disais : « maintenant on va parler la langue de Baba parce qu’il ne faut pas que vous l’oubliiez. » Quand un enfant à la chance de naître d’un arbre qui a des doubles racines, il ne faut pas lui en retirer une sinon l’arbre est bancal.
C’était d’autant plus important pour eux qu’il est à priori difficile qu’ils aillent en Iran du vivant de leur père. Moi-même je n’y suis jamais allé, Reza est une figure publique très virulente contre le gouvernement et cela depuis quarante ans. Donc, j’ai fait en sorte de cultiver cette culture par respect pour Reza et nos enfants, afin qu’ils puissent retrouver un peu de la patrie de leur père. Depuis que je connais Reza, je me suis toujours posée la question de ce que signifie l’exil. Quand tu observes une communauté enterrer un des leurs, comme les Kurdes que j’ai côtoyés ou les Iraniens, cela prend toute sa mesure. Chaque enterrement, chaque corps qu’ils mettent en terre, ils le vivent comme si leur propre pays s’éloignait, parce que le corps d’un des leurs, donc une partie d’eux-mêmes, se mêle à la terre du port d’attache. Je crois que c’est à cet endroit-là que l’exil est le plus douloureux, parce qu’il devient définitif. Quand tu vois l’un de ta communauté en exil être enterré dans la terre d’accueil, alors c’est une part d’abandon de l’espoir de retourner dans ta patrie. Reza aujourd’hui a fait le deuil d’un retour possible en Iran et il le dit « si d’aventure je pouvais retourner en Iran, je serai heureux mais j’ai changé, le peuple a changé, le pays a changé et penser que je retrouverai ce que j’ai laissé n’est qu’une illusion. » Je crois qu’il est profondément devenu un citoyen des mondes, pas d’un monde mais des mondes. Il vit dans l’instant, au mieux de lui-même.

VB : Comment vient le moment où tu vas commencer à l’accompagner dans la réalisation de son œuvre?

RD : Très vite après notre rencontre, j’ai commencé à écrire sur ses photographies. Je me souviens d’une en particulier, celle de Khomeini assis sur un lit que Reza avait prise en Iran. Dans mon texte, je ne m’attache pas spécialement à l’homme mais à l’interrupteur qui est derrière l’homme. Je viens du monde de la fiction et j’ai commencé à écrire des textes qui racontaient « autrement » la photographie. J’avais aussi commencé à trier ses diapositives et à les mettre sous planche pour les archiver et les légender. J’avais le sentiment que c’était un travail de mémoire à faire, qu’il fallait que ce soit structuré et lui ne l’était pas. Puis je suis aussi rentrée dans le monde des photoreporters grâce à une association qu’il avait créée avec Patrick Zachmann et Willy Ronis qui s’appelait Droit de regard, dont j’étais la secrétaire. Mais « l’incident déclencheur » arrive en même temps que le décès en France de la mère de Reza à la suite d’un banal examen médical. Cela se passe juste après la chute du mur de Berlin et le départ des Soviétiques d’Afghanistan. À ce moment-là, les Nations Unies lui proposent, puisqu’il connaissait très bien le commandant Massoud, de partir dans les régions du Nord de l’Afghanistan négocier et construire l’ouverture des routes du blé qui venait de Termez, une ville d’un pays de l’ex-union soviétique.

VB : Ils veulent l’envoyer comme photographe?

RD : Non, comme émissaire et coordinateur humanitaire. Reza accepte leur proposition et il partira juste avec un Leica. Il n’a fait là-bas que quelques photographies pendant son séjour mais ce qui est surprenant, c’est qu’elles sont restées comme les plus emblématiques de son travail. C’est la photo de l’exode, l’enfant avec la plante… Il était parti pour deux mois et trois mois après, je n’avais toujours pas de nouvelles. C’est à ce moment-là que je reçois un appel à Paris du directeur de la photographie du National Geographic à Washington qui cherchait Reza pour l’envoyer faire un sujet au Caire. Ne connaissant pas spécialement ce magazine, je me suis dit que cela devait être très important. J’obtiens un rendez-vous téléphonique avec lui, ce qui était un exploit, à l’époque. Il n’y avait pas de téléphone portable, on ne communiquait que par radio d’une montagne à l’autre. Quand je lui parle, Reza me dit de leur répondre qu’il n’est pas disponible et qu’il ne sait pas quand il rentrera. Il est resté 6 mois supplémentaires. À peine rentré à Paris, il reçoit un nouvel appel du même homme des Nations Unies qui l’avait envoyé en Afghanistan pour l’envoyer cette fois-ci en mission humanitaire au Kurdistan sachant qu’il connaissait bien la communauté Kurde. Reza hésite et pendant la réunion, il demande à cet homme s’il est déjà allé en Afghanistan et d’où lui vient son attachement pour ce pays. L’homme lui répond qu’il ne le connaît pas et que ce sont ses photos qui lui ont donné l’envie d’œuvrer pour ce pays. C’est là que Reza va prendre conscience du pouvoir de ses photographies. Si elles permettent à des gens d’être actifs dans l’action humanitaire de terrain à ce niveau-là alors il se devait de rester fidèle à la photographie. Il refuse la mission au Kurdistan, renonce à devenir humanitaire et accepte la proposition de National Geographic de partir au Caire. C’est ainsi qu’il réalise son premier sujet pour eux.
Mais chez Reza, il y a toujours eu une partie de lui qui a refusé le seul témoignage pour être dans l’action. C’est pour cela qu’il enseigne, qu’il partage, qu’il transmet et même qu’il a pu être tenté par ce monde de l’humanitaire. C’est à ce moment-là que nous envisageons de travailler officiellement ensemble et que l’on décide de créer notre propre structure. Nous avions envie d’un lieu qui nous permette de réaliser les projets qui nous animaient. Nous avons commencé par archiver et récupérer ses images qui étaient éparpillées dans les agences, les légender, concevoir des livres puis l’aider à réaliser des reportages, proposer son travail aux magazines, monter des expositions. On a créé notre structure en 1992, j’avais à peine vingt-quatre ans, c’était pour être ensemble, libres et réaliser nos projets et nos rêves.

VB : Tu l’accompagnes dans la création d’une structure mais tu vas être là-aussi pour le reconnecter à sa propre histoire. C’est toi qui es à l’origine en 2017 du livre Iran Rêves et Dérives autour des archives de Reza et de son frère Manoocher sur la fin de règne du Shah et les débuts de la révolution islamique marquée par l’arrivée de Khomeini ? C’est aussi toi qui as écrit les textes très importants qui accompagnent les photos et les replacent dans un contexte historique majeur?

RD : Ce livre a été publié en 2019, pour les quarante ans de la révolution iranienne. C’est effectivement moi qui l’ai voulu. Sur certains ouvrages des éditeurs sont venus nous chercher mais pas pour celui-là. Je trouvais fondamental qu’il y ait un livre qui raconte son histoire et celle de son frère, la petite histoire de deux êtres mêlés à la grande Histoire. Mais il me fallait de la maturité pour raconter l’histoire avec un grand H et en même temps pour être proche et distante de deux personnages comme Manoocher et Reza. Je n’aurais pas eu cette maturité dix ans auparavant. J’ai mis du temps à signer mes textes et me sentir légitime. Bien sûr que Reza m’a toujours donné les 5 W, les What / Why / Where / When/ Who autour de ses photos et qu’ensuite je les ai traduits avec des mots et des pensées qu’il n’arrivait pas forcément à se formuler lui-même. Je savais que j’étais fidèle à ce qu’il est, fidèle même à ses non-dits, je le connais tellement bien. D’ailleurs il arrive souvent qu’en découvrant mes textes, il soit bouleversé par l’exactitude de mes mots. Mais pour Iran, Rêves et Dérives, c’était autre chose, cet ouvrage devait faire date.

VB : Tu as fait un travail considérable sur la partie historique?

RD : Oui et tous les textes ont été supervisés par un chercheur du CNRS.

VB : Tu remontes aux origines, positionnes Reza dans une histoire collective… Tu évoques un livre de maturité, j’imagine que la parution de Iran, Rêves et Dérives a dû marquer une étape importante dans votre relation?

RD : C’est marrant que tu dises cela… J’avais 22 ans quand on a monté notre structure et c’est à ce moment-là que j’ai quitté le monde de la fiction. L’une de mes dernières nouvelles écrites à cette époque, racontait l’histoire d’une statue dans une vitrine qui regarde à travers une vitre jusqu’à ce qu’elle se fissure à cause d’une guerre. Après cette nouvelle, ma plume a été uniquement au service de Reza et de sa communauté. J’ai mis en mot sa pensée et ses photos. Mais en 2016, au milieu de la nuit, je me suis réveillée et j’ai écrit un texte sur mon ordinateur. Le lendemain, alors que beaucoup de personnes travaillaient avec nous, je préviens tout le monde que je compte partir dans un pays d’écriture. Quelques semaines après, je suis partie sans que personne ne sache où. J’ai pris un billet aller, sans retour. Je savais que je revenais « en fiction » et que j'écrirais un livre dont le titre serait : Une part d’ombre. Je suis resté cinq semaines dans ce pays et personne ne m’a téléphoné. J’étais hors des radars. La première chose que j’ai faite dans ce pays d’écriture, c’est d’escalader un mont de 4200 mètres qui se trouvait à proximité. J’ai dormi là-haut et j’ai commencé à écrire en redescendant. Pendant deux ans j’ai continué à aller de temps en temps dans ce pays d’écriture mais dès le premier voyage, je savais que je commençais une trilogie. Étonnement, les trois livres que j’ai écrits avec Reza après mon retour en fiction sont trois livres de maturité… de « juste » endroit. C’est Iran, Rêves et Dérives ; Kurdistan, Renaissance dans lequel il y a sept textes très fondateurs dans le parcours de Reza et Regards croisés, Plantu/Reza. Quand tu vas toi-même sur ta propre route et que tu as beaucoup été le révélateur de l’autre, tu te demandes si ton nouveau chemin n’est pas une trahison pour l’autre. Étonnement ces trois livres écrits avec Reza avec des textes importants, sont des livres majeurs que j’ai écrits après mon retour en fiction et que je n’aurais pas pu écrire avant.

VB : Je trouve très intéressant ce que tu dis, c’est comme si d’une certaine manière, tu le faisais sortir de son errance, de son exil, parce que tu avais réussi toi-même à sortir du tien.

RD : C’est un travail de maïeutique. Je suis un peu comme une sage-femme qui aide à donner naissance. Ce que je tente de faire avec Reza et son œuvre, c’est de l’aider à le faire naître ou renaître à lui-même. Et peut-être qu’avec Iran, Rêves et Dérives en mêlant son histoire à la grande Histoire, je suis arrivée à ce qu’il ne s’oublie pas dans cet exil.

VB : C’est finalement en retournant dans ton pays d’écriture et en le trahissant, que tu lui donnes ses racines, comme si dans votre relation, l’émancipation de l’un, conduisait à l’émancipation de l’autre…

RD : Dans son roman Une chambre à soi, Virginia Woolf parle d’un endroit où elle peut écrire. Un espace au service de sa créativité et de ses silences. Moi j’ai appelé ce lieu, « mon pays d’écriture ». Avec Reza, j’ai fait en sorte qu’il explore toutes ses « chambres » et ses espaces pour que sa liberté et sa créativité puissent s’exprimer. Quand en 2016 ce texte m’a « appelé », j’aurais pu ne pas suivre cette injonction mais je l’ai acceptée et tout s’est mis en place, même si c’était la première fois que je partais.
Avec Reza, on ne parle pas beaucoup de ce genre de choses, notre relation est très orientale. Nous communiquons à travers des poèmes par exemple mais c’est toujours moins verbalisé que les pratiques en occident. Il est vrai que trouver « mon pays d’écriture » m’a permis de grandir et m’a autorisée à me révéler à moi-même pour amener Reza à un autre niveau de son histoire et nous sortir de ces instantanés photographies/textes. Et je suis aujourd’hui très heureuse d’avoir parcouru tout ce chemin et réexploré ses fondations. Lui comme nos enfants peuvent se dire qu’il y a une vérité qui a été écrite de cette histoire, qu’elle est tangible et qu’elle s’inscrit dans l’Histoire. Cette notion de trace est importante dans toutes nos actions. Non pas parce qu’elle est sérieuse mais parce qu’elle est porteuse de sens. Quand j’ai rencontré Reza en 1989, c’était pour lui un moment d’essoufflement dans sa carrière, un moment compliqué. Cette fragilité dans laquelle il était, nous a permis de repartir ensemble. Ensuite, j’ai été dans un effacement volontaire mais cet effacement me permettait d’être extrêmement libre dans mon écriture, j’avais la liberté de concevoir des expositions, d’écrire des ouvrages. Je ne demandais pas que ce que j’écrivais me soit attribuée. Et si je me suis perdu en Reza, je savais qu’il s’appuyait sur ma présence, mes idées, mes textes, pour renaître et grandir. Je connais aujourd’hui ma part de création dans celui qu’il est devenu.

VB : Dans Iran, Rêves et Dérives, avec les photos de Reza et Manoocher, on voit très bien comment la révolution islamique a voilé les femmes et les a oppressées. Ta liberté gagnée auprès de lui est un beau pied de nez à l’histoire.

RD : Oui, tu as raison, en tous les cas, cette révolution islamique est ce qui a amené Daesh, ISIS et toute une forme de terrorisme que nous vivons aujourd’hui. C’est d’après moi ce qui a créé une fissure entre le monde judéo-chrétien et le monde musulman parce qu’il y a eu une religion d’état, même si évidemment cette religion s’est faite avec la complicité de l’occident. Une grande partie des conflits qu’on vit encore viennent de là… 

Rachel Deghati
Co-fondatrice de l’agence photographique Webistan

Concept, mise en œuvre, coordination d’expositions de photographies et multimédias en France et dans le monde.
Concept éditorial, coordination d’une trentaine de livres
Écriture et co-réalisation de courts documentaires et courts films

Co-fondatrice et membre actif à titre bénévole de l’association «Les Ateliers Reza» pour la formation au langage de l’image des jeunes de milieux défavorisés (banlieues des mégapoles en France et dans le monde, camps de réfugiés)

Co-fondatrice et membre actif à titre bénévole de l’association Aina en Afghanistan pour la formation principalement des femmes aux métiers du journalisme (vidéo, radio, presse) et de la culture et l’éducation des enfants

Fondatrice des éditions SAMA en 2023

Autrice
Récits

Iran rêves et dérives, Paris, Höebeke / Gallimard, 2019 / Deghati Rachel (textes), Reza(photographies), Manoocher (photographies)

Le massacre des innocents, Paris, Webistan, 2014 / Deghati Rachel (textes), Reza(photographies)

Entre Guerres et Paix, Washington, Éditions National Geographic, 2008 / Deghati, Rachel (textes), Reza (photographies)

Massoud, des Russes aux Talibans, Paris, Quai de Seine, 2001/ Deghati, Rachel (textes), Reza (photographies)

L’oeil de Reza - Paris, Éditions Dunod, 2020 / Deghati, Rachel (textes), Florence AT (textes), Reza (photographies)

Chants de Café - Paris, Éditions Michel Lafon, 2013 / Deghati, Rachel (textes), Reza (photographies)

Derrière l’objectif, Paris, Éditions Hoëbeke, 2010 / Deghati, Rachel (textes), Reza(photographies)

Chemins Parallèles Paris, Éditions Hoëbeke, 2009 Deghati Rachel (textes), Delazad (textes), Reza (textes et photographies)

Destins Croisés, Paris, Éditions Hors Collection, 2003 / Deghati, Rachel (textes), Reza(photographies)

Récit et poésie

Kurdistan Renaissance, Paris, Webistan, 2017 / DEGHATI, Rachel (textes), Reza (photographies)

L’élégance du feu, Paris, Webistan, 2014 DEGHATI, Rachel (textes), Reza (photographies) Plus loin sur la terre, Paris, Éditions Hors Collection, 2001DEGHATI, Rachel (textes), Reza (photographies)

Vers l’Orient, Sindbad, Grenoble, Éditions Glenat, 2009 / Deghati Rachel (préface), Pierre Gentelle (textes), Reza (photographies)

Insouciances, Chaumont en Champagne, Éditions Castor & Pollux, 2004 / Deghati, Rachel (textes), Reza (photographies)

Roman

Une part d’ombre, 2022, éditions LIRALEST


Très vite après notre rencontre, j’ai commencé à écrire sur ses photographies. Je me souviens d’une en particulier, celle de Khomeini assis sur un lit que Reza avait prise en Iran. Dans mon texte je ne m’attache pas spécialement à l’homme mais à l’interrupteur qui est derrière l’homme. Je viens du monde de la fiction et j’ai commencé à écrire des textes qui racontaient « autrement » la photographie.»


























Dans l’œil de Frédéric Martin,

Concentré


Un concentré. Voilà ce qu’est cette photographie. Un concentré de tout ce que l’humanité contient de dramatique, d’absurde et de brutal.

Il y a derrière cette horde armée, anonyme, toute la violence de la condition humaine. Tout ce qui rend une part de l’humain non seulement détestable, mais aussi condamnable. L’arrogance. Le mépris (de l’autre, de soi), la brutalité.

Est-ce que la photographie doit rendre compte de ça? Oui bien évidemment, puisqu’elle est un témoignage.

Est-ce que la photographie suffit? Non.

La photographie, si elle a cette capacité à montrer ce qui a été, ne peut se suffire à elle-même. D’abord parce que dans des cas comme celui-ci, il est bien à minima d’avoir un contexte. Ensuite parce que l’image de reportage est souvent trop incomplète. Montrer des hommes en arme doit s’accompagner d’une explication, d’une possible justification, mais surtout d’une critique. Or, la photographie ne permet pas tout cela. La culture personnelle, elle le permet.

Nous vivons dans un monde d’images. Celles-ci emplissent d’une telle manière l’espace qu’il devient illusoire d’y échapper d’une part, mais surtout qu’il est de moins en moins possible de contextualiser d’autre part. Or, derrière ça se niche un appauvrissement intellectuel. On «avale» de la photographie, on ne se pose pas de questions, on ne réfléchit pas à la portée de chacune et on mélange allégrement petits chats, soldats en armes, femmes dévêtues, dirigeants politiques, paysages paradisiaques, photos d’enfants et j’en passe.

L’espace est saturée et plus aucun recul n’est possible.

Et ces hommes en arme, ces militaires prêts à en découdre n’ont pas plus d’importance que le reste. On banalise la violence, la haine, la guerre, la rage… Or, banaliser ce qui à mes yeux représente le Mal, revient à l’accepter. Le problème fondamental n’est pas la photographie. Le problème fondamental est l’humanité associée au capitalisme dans ce qu’ils ont de plus mercantile, immoral.

Nous devons donc, nous passeurs d’images, amoureux de photographies, éduquer, sensibiliser, informer, expliquer. Le monde de demain, celui que nous aimerions sûrement différent, ne pourra émerger que si cette nécessaire transmission, cette éducation est faîte.

Sinon, un jour, il y a fort à parier que ce seront des hommes en arme qui la feront…

Retrouvez le site de Frédéric Martin, 5 rue du︎︎︎