ET SI NIEPCE N’AVAIT ÉTÉ QUE LE PÈRE PUTATIF DE LA PHOTOGRAPHIE ?

Par Georges Bardawil, 2014

Me voilà reparti pour vous narrer encore une de ces histoires à dormir debout dont j’ai le secret, une de ces bulles remontées du limon du passé, un de ces allers-retours bizarres entre hier et aujourd’hui. Mais après tout pourquoi pas, si c’est l’occasion de se demander si Niepce peut de bon droit revendiquer la paternité d’une photographie qui avait tout pour être découverte juste avant qu’il ne naisse. 

J’avais pour ma part, complètement oublié que le premier chapitre de cette ambitieuse Histoire de la Photographie promise à une mort en bas âge, s’ouvrait sur les pages pour le moins prémonitoires d’un certain Tiphaigne de la Roche décrivant l’invention de la photographie plus de 60 ans avant que Niepce ne se charge des détails expérimentaux.

Peut-être après tout, Giphantie, ce roman d’anticipation d’un obscur médecin normand était-il parvenu jusqu’en Bourgogne pour donner des idées au jeune Nicéphore ou à son frère Claude… Nul ne le sait. Et peut-être que si l‘INPI (L’Institut National de la Propriété Industrielle) avait existé au dix-huitième siècle, le brevet sur l’invention de la Photographie y aurait été déposé quelque soixante ans plutôt, toujours par un Français, mais Normand, au lieu d’être Bourguignon.

Or, voilà qu’un de ces rêves étranges qui persistent au réveil et que j’avais fait quelques mois plus tôt de ce Tiphaigne de la Roche, m’avait rappelé, non ces pages oubliées de PHOTO JOURNAL, mais cette Histoire de la Photographie de Raymond Lécuyer, datant des années 40 où Jean-Claude Gautrand avait repris sa longue mais instructive citation. Sorti de mon rêve avec un vague goût d’inachevé, je voulais en savoir davantage sur ce Tiphaigne de la Roche et son roman, Giphantie (anagramme de Tiphaigne). Une lecture plus complète, si elle était possible, m’en apprendrait peut-être un peu plus sur cet indéniable précurseur et sur ce qu’il avait pu connaître d’autre de la photographie.

C’est sur le site Gallica de la BN, que je retrouvais sans peine le roman recherché qui avait été publié sans aucune mention d’auteur dans une fictive Babylone en l’an M.DCC.LX. Sa lecture, si elle avait rien d’autre à m’apprendre sur la photographie allait me faire découvrir une dizaine de romans tous plus étranges les uns que les autres.

En plus d’un talent et d’un style bien de son temps et comparable souvent à celui d’un Diderot auquel il avait même inspiré d’évidence, certains passages du rêve de d’Alembert, cet obscure médecin normand avait une imagination encore bien plus impressionnante. Ces romans situés dans des mondes étranges et interplanétaires parlaient de toutes sortes de choses qui étaient appelées à rester incompréhensibles, inconcevables pour des lecteurs de son temps et même ceux des siècles suivants.

Cela allait de la télévision à la transmission par ondes radio, des phéromones et autres phénomènes d’attirance sexuelle, à une banque du vivant, des bas et des dessous arachnéens tissés dans des matières étranges jusqu’à ce « Big Bang » des tout débuts d’un univers en constante expansion, que Hobbes ne décrira (guère mieux) qu’en 1927.

Qu’on en juge : « Le croiras-tu, reprit Amilec (le guide du narrateur), cette multitude innombrable de Tourbillons, de Soleils, de terres habitables, qui composent ce vaste Univers, tout cela, (non tu ne le croiras jamais), tout cela a été autrefois contenu dans un grain dont la grosseur égalait à peine celle d'un pois. Le développement s'en est fait peu à peu, mais il n'est pas encore terminé. Il est bien des Mondes que l'on peut comparer à de jeunes planètes qui ne commencent, pour ainsi dire, qu'à germer ».

Les astrophysiciens d’aujourd’hui ne devraient pas être moins étonnés que les historiens de la photographie d’hier.  

Quand, après avoir poussé un peu plus loin ma découverte et mes lectures, je décidai d’aller convaincre un éditeur qu’il était temps de réparer une telle injustice et un pareil oubli, je découvrais qu’un groupe de jeunes chercheurs et d’universitaires avaient déjà fait le travail de leur côté. Plusieurs livres sur cet étrange personnage avaient été ou devaient être publiés et la publication de ses œuvres complètes allait bientôt suivre.

Les amateurs de ce blog me pardonneront de faire de temps à autre ce genre de post buissonniers, qui ont plus ou moins à voir avec « mes années photographiques ». C’est vrai. Je me fais parfois l’effet d’un de ses chiens incorrigibles que la moindre effluve égare et qu’il faut siffler et remettre sur le droit chemin.