Histoire, un peu décousue, d’un portfolio devenu rare par un regrettable concours de circonstances.

Par Georges Bardawil, 2014

En apprenant que je me lançais dans ce grand flash-back, Bernard Perrine qui fut un des témoins et comparses de pas mal de mes tribulations m’adresse un email pour me demander ce qu’il me reste de mes collections de Demachy et de Puyo.

Ma réponse :

«Puyo n'a jamais fait partie des articles suivis par la Maison et il doit me rester un ou deux Demachy dont personne n'a voulu. J'ai rendu le gros de la collection à la famille. Et l’ami Jean Demachy est mort quelques temps après.

Il me reste un seul exemplaire de l'édition que nous avions faite à partir des originaux, (gommes bi-chromatées et report de bromoïl) reproduits en phototypie. La Photogalerie en était le distributeur exclusif. Mes partenaires étaient Jean Demachy, un des petit-fils du photographe et Régis Pagniez le Directeur artistique de Filipacchi, qui avait suivi l’édition. Ces portfolios s’étant avérés très difficiles, sinon impossibles, à vendre en France, nous en avions décidé d’expédier à New-York, les quelques centaines qui nous restaient sur les bras. Jean Demachy et Régis Pagniez, (mes associés dans cette opération), estimaient qu'il serait plus facile de les vendre. Pagniez s'y occupait alors de Look que Filippacchi venait de racheter. Et puis, mauvaise nouvelle, j’appris quelques temps après, que lors d'un déménagement les cartons où ils se trouvaient, avaient été confondus par erreur avec tous ceux du déménagement promis à la décharge.  
On a les autodafés qu'on peut.

Bernard me répondit aussitôt :

Le Demachy dont tu parles n'est ni celui de Contrejour ni celui de Paul Jay. Tu veux sans doute parler du portfolio avec 16 planches dont je joins photos. C'est un peu comme les "Transmutations" de Brassaï, peut-être n'ont-ils pas été perdus pour tout le monde!!!… puisque l'on trouve des planches séparées sur le net.

Bien à toi.

B.Perrine


Autant vous parler sans plus tarder, et comme le mail de Bernard Perrine m’y invite, de cette exposition Robert Demachy qui eût lieu à La Photogalerie en février 1975.

La revue Camera dirigée alors par Allan Porter avait publié à cette occasion, un numéro spécial dont seul, me reste le souvenir. L’ayant perdu comme pas mal d’autres choses, j’ai tenté en vain, de le retrouver. Avis aux amateurs qui en auraient un exemplaire en double dont ils souhaiteraient se défaire. Sa couverture rose est facile à repérer.

Une dernière chose enfin... J’ai bien envie reprendre ici, l’exergue déjà emprunté aux Carnets de note des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar pour la labyrinthique biographie d’une dame russe, écrite dans les années de la pérestroïka :  « Se rappeler sans cesse que ce que je raconte ici est faussé par ce que je ne raconte pas. Ces notes ne concernent qu’une lacune. »

C’est sans doute, le propre de toutes les mémoires, et autres recherches des temps perdus. De plus, quand les souvenirs ont décidé de remonter à la surface et de vous re-trotter dans la tête, tous les prétextes leurs sont bons. Ils aiment vous prendre par surprise, sauter du coq à l’âne, revenir quand et comme bon leur semble. Ne vous attendez donc à aucune suite logique, encore moins un ordre chronologique.

Comptez sur moi pour vous éclairer de mon mieux. Mais je tenais à vous prévenir.

Histoire, moins décousue qu’on le pense, d’un portfolio devenu rare par un regrettable concours de circonstances.

C’est donc en compagnie de deux copains, deux amis d’alors, Jean Demachy, le petit-fils du photographe et Régis Pagniez le Directeur Artistique des Editions Flipacchi, que je m’étais lancé dans l’édition de ce portfolio de seize photographies de Robert Demachy dont parle Bernard Perrine.

Je connaissais Jean et Régis depuis les tout-débuts du magazine PHOTO. Nous avions sympathisé et j’avais appris à apprécier leurs talents. Régis supervisait l’ensemble des metteurs en page et des maquettistes de toutes les publications déjà nombreuses du Groupe, mais je crois pouvoir dire, que les deux magazines auxquels allaient ses faveurs étaient LUI, le « plus prestigieux », et PHOTO, le « petit dernier » dont je m’occupais à peu près seul dans mon coin et un petit bureau voisin.

Mais ceci est une autre histoire qui viendra en son temps.

J’avais souvent l’occasion de croiser Jean Demachy dont je ne sais toujours pas très bien le rôle exact qu’il jouait dans ce « Play Boy français ». Il avait pour assistante une charmante italienne dont les idées révolutionnaires n’étaient pas pour me déplaire, et que j’allais souvent débaucher pour un café ou un déjeuner. Floriana Valentin, que j’avais connue mariée à un photographe dont elle avait gardé le nom, partageait, alors la vie de Gérard Lebovici, autre vieille connaissance d’au moins une, sinon deux, de mes quelques vies. C’est avec lui que, lassée de veiller aux pages shopping de la « Défonce du consommateur », elle allait bientôt partir pour créer les Éditions Champs Libres.

J’avais encore deux autres bonnes raisons de passer la porte de LUI, sans me sentir tout à fait en terre inconnue. En effet, Marcel Duhamel qui en avait été le premier rédacteur en chef avec des titres-calembours, avait publié quelques sept ans auparavant, mon premier et unique roman, « Aimez-vous les femmes », dans la fameuse « Série Noire » qu’il avait crée.

Et Jacques Lanzmann, son successeur, qui venait d’en partir mais y passait encore souvent, était le frère de Evelyne Rey, une comédienne de théâtre et de cinéma, amie de longue date à qui je devais d’avoir rencontré ma femme et qui me prenait pour confident des affres et des amours contrariés qu’elle vivait entre - je peux aujourd’hui le dire - le jeune éditeur Christian Bourgois et Jean-Paul Sartre dont elle venait de jouer les Séquestrés d’Altona mis en scène par François Périer.
Evelyne que ma femme et moi, n’avions pas su distraire assez de ses idées noires, avait (si j’ose dire) réussi sa dernière tentative de suicide tout juste un an auparavant.
Cette disparition, nous avait, Jacques et moi, un moment, quelque peu rapprochés.

N’allez surtout pas croire que je fais diversion et vous emmène en ballade. Tout ce que je raconte ici, a un lien plus ou moins proche avec la photographie. Jusqu’à la dame qu’Evelyne Rey m’avait présentée, et qui se trouvait être la belle-sœur de Walter Carone, photographe en renom et directeur de la photo à Paris Match : celui qui me fit entrer, comme à contre-cœur, dans le journalisme, un métier que je m’étais bien juré de ne jamais faire. Les serments des adolescents valent souvent ceux des ivrognes. C’est avec Walter Carone que j’allais me retrouver dans la foulée, aux premières loges de la création de PHOTO, le magazine dont il caressait l’idée depuis longtemps. C’est encore avec lui, que je ferai douze ans plus tard, PHOTOJOURNAL le dernier des trois magazines photographiques dont je devais m’occuper.

Pour en revenir au portfolio de Demachy, les reproductions en noir et blanc, sépia et même en couleurs, au pochoir étaient imprimées aussi fidèlement que possible en phototypie, un ancien procédé d’impression en continu, autrement dit sans trame, comme le sont l’offset et l’hélio, et donc plus adapté à la photographie et encore plus aux gommes bi-chromatées et aux reports de bromoïl originaux. C’est à l’Imprimerie Nationale que nous avions confié la composition de ce fort beau texte de Roméo Martinez sur cette figure négligée, sinon méprisée du pictorialisme qui avait eu pourtant l’honneur d’être publié dans le Camera Work de Steichen et Stieglitz. 




Ce portfolio des Editions Sepia crées pour la circonstance devait être le premier d’une série consacrée aux grands maîtres de la photographie. Il restera sans suite et la grande majorité des exemplaires de ce Robert Demachy, connurent la « fin malheureuse » que je racontais à Bernard Perrine. Une version, la seule connue de moi, qu’il mettait en doute.