Galerie Huit Arles
Julia De Bierre
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James Bain Smith
AN UNSUNG HERO /
UN HERO MECONNU
Au printemps 2011, je suis une des rares personnes à franchir le porche grandiose de l’ambassade de Somalie à Paris, située dans le 16ème arrondissement. Accompagnée par le photographe James Bain Smith,
nous venons nous entretenir avec Son Excellence Saïd Farah, digne ambassadeur d’un pays qui, depuis la féroce guerre civile qui a suivi la chute du dictateur Siad Barre en 1991, n’existe plus en tant qu’État en fonction - c'est à dire depuis 20 ans.
A la différence de la majorité des ambassades somaliennes à travers le monde qui ont fermé leur portes, Saïd Farah a choisi la résistance, se battant à sa façon pour que le drapeau somalien flotte toujours à Paris, travaillant et vivant seul dans cet hôtel particulier déserté, où les lignes de téléphone ont été coupées suite aux factures impayées par un gouvernement fantôme, et où le chauffage ne fonctionne plus faute d’argent pour assurer la maintenance et les réparations.
Tandis que son épouse et ses enfants ont trouvé refuge au Canada, Son Excellence Farah a mis un point d’honneur à rester en poste en France, où entre autres tâches il aide les ressortissants somaliens réfugiés et sert d'interprète auprès des pirates somaliens - souvent très jeunes- languissant dans les prisons françaises. Une vingtaine en tout, qui a troqué une vie normale de pêcheur pour la piraterie, du fait de la déliquescence de l'État somalien, où un long littoral sans garde-côte est devenu un dépotoir idéal pour navires de toutes origines.
Dans un immense salon, dont la décoration date des années 70, meublé de fauteuils cossus recouverts de velours épais, nous buvons un verre d'eau, sous une tapisserie façon troubadour et des tableaux contemporains aux couleurs vives d’un artiste somalien, égayant le style pompeux des stucs Louis XVI.
Pendant que nous parlons, je remarque des morceaux de plâtre blanc qui tombent du plafond fissuré, tels des flocons de neige - nous apprendrons plus tard que le toit de l'immeuble commence à s'effondrer. J'entraperçois au détour d'une porte ouverte, des piles de dossiers jonchant le sol, abandonnés par le personnel ayant un à un quitté ce Titanic chavirant. En sortant de l’Ambassade, je me suis dit que nous étions en présence d’un véritable unsung hero, un héros méconnu qui était en train de sacrifier sa vie de famille et sa santé dans l’espoir que son pays ravagé puisse renaître de ses cendres.
Cette série "ambassade" cache aussi une narration plus intime, entremêlée dans le vaste drame d’un pays et de son ambassade à l'abandon …un snapshot encadré, qui se trouvait par terre, au milieu de vieux papiers, représentant un jeune homme de 25 ans sur une plage à Lamu, photo prise bien avant la guerre civile, m’a permis, grâce à mes collègues de Photo Doc, champions des enquêtes personnelles travaillant sur le temps long, de plonger dans le mystère caché de mon lointain passé.
8 Shades of Memory, une collaboration avec Photo Doc Paris.
Photographie James Bain Smith.
(A voir aussi dans le cadre du Photo Days l’installation immersive son et image, 8 shades of memory. Sur rdv, La Suite du Huit, 27 rue Jean-Jacques Rousseau, 75001 Paris).