PHOTO DOC. LAB



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LE DEBUT D’UNE AVENTURE
La naisance du Photo Doc. Lab.


Convaincus qu’une action est non seulement possible mais nécessaire, nous avons pris la décision de nous engager auprès des chercheurs et des photographes qui souhaitent travailler en tandem sur les enjeux sociétaux les plus signicatifs de notre époque. Pour ce faire, nous avons mis en place un partenariat avec l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (E.H.E.S.S.), qui portera ses fruits très bientôt. Mais dans l’intervalle, pour démontrer à la fois l’intérêt de ces associations chercheurs/photographes, et la qualité des œuvres qui en découlent, nous avons souhaité présenter ici, lors de la foire annuelle de Photo Doc. !, quelques exemples déjà existants de travaux réalisés dans cet esprit de collaboration que nous souhaitons développer.

La richesse de cet ensemble tient à sa diversité, démontrant ainsi que la photographie documentaire, bien loin d’être un simple reflet de « l’instant décisif » lisible au premier regard, peut aussi s’écarter du réel pour en donner une vision sujette à questionnements et donc à réflexion. Il ne s’agit pas tant d’apporter des réponses que de poser des questions, pas tant de capter un moment que de construire un argumentaire, ouvrir à de nouvelles possibilités, et -pourquoi pas- proposer des solutions d’amélioration, ou tout du moins AGIR, d’une manière ou d’une autre, consciemment ou inconsciemment, pour que le monde de demain soit meilleur que celui d’aujourd’hui.

Raphaël Dallaporta, Vincent Jarousseau et Anaïs Tondeur font partie de ces photographes dont le processus de création passe par l’assimilation des sciences humaines ou scientifiques. Ils jugent nécessaire l’élaboration d’une pensée et la mise en œuvre d’une action en faveur d’une humanité parfois mise à mal. Ils sollicitent selon les projets des archéologues, des philosophes, des mathématiciens, des chimistes ou des météorologues, et se met alors rapidement en place une collaboration constructive, autant pour les chercheurs que pour les photographes. C’est le résultat de leurs travaux qui prend forme ici, à travers des œuvres qui rendent palpables les sujets brûlants que sont la destruction des sites archéologiques, les gilets jaunes ou la pollution aux particules fines.

EMMANUELLE DE L’ECOTAIS
Membre de Photo Doc & Commissaire du Photo Doc. Lab


RAPHAEL DALLAPORTA

Travaux réalisés avec l’archéologue Roland Besenval, le géographe Eric Fouache, l’architecte Yves Ubelmmann et le mathematicien Alexanre Brouste

Ruins



Raphaël Dallaporta ( avec l’archéologue Roland Besenval, le géographe Eric Fouache, l’architecte Yves Ubelmmann et le mathematicien Alexanre Brouste)  recherche les formes symboliques du documentaire et, à travers elles, questionne l’évolution de l’être humain en parallèle de ses progrès technologiques. Pour ce faire, il travaille en collaboration avec des militaires, des médecins légistes, des archéologues ou des astrophysiciens. Il se concentre sur des objets tabous (les mines antipersonnelles) ou des lieux interdits (la grotte Chauvet), devenus accessibles grâce à des rencontres.

Ruins est le résultat d’un échange avec la mission archéologique de Bractianne dirigée par Roland Besanval, (disparu en 2014) dont le travail de recherche suit les traces d’Alexandre le Grand en Afghanistan... Raphaël met au point pour cette étude du CNRS franco afghane, un système qui permet de réaliser des vues aériennes, en installant une caméra sur un objet volant. Les drones utilisés par l’armée sont introuvables dans le commerce à l’époque. Il conçoit et fabrique son outil avec la complicité d’un amis architecte Yves Ubelmmann et d’un mathématicien Alexanre Brouste. Un an de préparation est nécessaire avant de pouvoir partir en Afghanistan, et la mission de 2010 s’organise autour de cette technologie qui permet aux archéologues d’observer le territoire d’en haut, et de déceler, sous les reliefs, les constructions enfouies (fortification dans les montagnes, aqueduc dans le désert).

Bien qu’à première vue modernes, ces images sont ancrées dans une longue tradition de photographies aériennes (depuis les premières images prises en montgolfière par Nadar en 1858); la manière même de réaliser les tirages est issue de cette même tradition, puisqu’il assemble plusieurs points de vue différents en une seule image. Raphaël Dallaporta pose en creux la question du progrès de l’humanité et du progrès dans l’art. Ce n’est pas restituer le réel qui lui importe, puisqu’on ne le reproduit jamais -on ne fait que créer des images- c’est ressentir et rendre compte du mouvement perpétuel et vertigineux du monde, dont l’homme est acteur.

ANGELA LAMPE
Commissaire de l’exposition ‘Vues d’en haut’ extrait du catalogue, Centre Pompidou Metz



VINCENT JAROUSSEAU

Travaux réalisés avec le Forum Vies Mobiles

Les racines de la colère



Au printemps 2016, Emmanuel Macron, alors ministre de François Hollande, lance son mouvement En Marche !

Le choix de ce nom, selon Vincent Jarousseau, est lourd de sens. C’est une injonction : il faut bouger pour s’en sortir. Quelques semaines avant l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, le photographe s’est installé à Denain, petite ville de vingt mille habitants dans le nord de la France, afin de suivre le quotidien de familles issues de milieux populaires, pour qui la mobilité n’est pas une solution mais un obstacle. Pendant deux ans, il a donné la parole à des personnes le plus souvent invisibles dans les médias, et tenté de montrer les fractures qui menacent notre modèle démocratique. Il nous livre un reportage en forme de roman-photo où tout est vrai. Chaque propos a été enregistré et retranscrit à la virgule près.

Les Racines de la colère racontent, en creux, la montée du mouvement des « gilets jaunes».


ANAÏS TONDEUR

Travaux réalisés avec les physiciens Rita Van Dingenen et Jean-Philipe Putaud du Centre commun de recherche (JRC) de la Commission Européenne

Noir de Carbone 2016-2018



Anaïs Tondeur travaille depuis plusieurs années avec des anthropologues, des physiciens, des géologues, des océanographes ou des chimistes, souvent sur des temps très longs (elle a par exemple fait une résidence de deux ans au laboratoire de mécanique des fluides à l’école Polytechnique).

Noir de carbone a été développé avec deux physiciens de l’atmosphère, qui étudient les flux des polluants au centre de recherche de la Commission Européenne. De ces échanges est né le projet de suivre le parcours d’une particule fine. Contrairement aux idées reçues, vivre en dehors des villes ne nous affranchit pas de la pollution : les particules se déplacent avec les vents au point d’atteindre des coins du monde complètement dépourvus d’activité humaine, comme l’Arctique par exemple, où les particules se déposent sur la glace en ne couche sombre, attirant la lumière et la faisant fondre.

Anaïs s’est donc rendue sur l’Ile de Fair, une île écossaise perdue au milieu de la Mer du Nord, entre les Shetlands et les Orcades. Avec ses coordonnées géographiques, les physiciens ont pu déterminer l’origine des particules fines qu’elle respirait : le port de Folkstone, au Sud de l’Angleterre. Anaïs a alors effectué le parcours de ces particules en sens inverse pendant quinze jours, en prenant le bateau, le bus et à pieds. Chaque jour, elle portait un masque et prenait une photographie du ciel. Les physiciens ont ensuite extrait les particules des masques, obtenant ainsi quinze échantillons. Enfin, chaque tirage est réalisé en partie avec les particules de noir de carbone (une matière issue de la même famille que l’encre de chine) prélevées le jour de la prise de vue et injectées dans l’imprimante.

On ne croit que ce qu’on voit... Avec ces œuvres, Anaïs Tondeur revient au rôle premier de la photographie, en nous apportant des preuves. Pourtant, les nuages constituent plus un sujet de l’histoire de l’art classique que de la photographie documentaire. Mettant en œuvre les mêmes stratégies que les peintres, Anaïs rend compte d’une menace au moyen d’une forme esthétique qui nous transporte - la vision romantique d’un ciel tourmenté (alors qu’il ne s’agit évidemment pas de nuages de particules fines), associée aux fioles mêmes de noir de carbone. Elle révèle ainsi l’intangible et donne corps à ce qui, tous les jours, pénètre nos organes à notre insu et nous empoisonne. C’est en cela qu’elle reste une photographe documentaire, qui aspire avant tout à agir sur nos consciences.