Une pensée pour Roméo Martinez

Par Georges Bardawil, 2014



Dans ce grand battage et les turbulences que connaît aujourd’hui le monde de la Photographie, il me semble que nous devrions laisser une place sensiblement plus grande qu’un article ou deux sur internet, au souvenir de Roméo Martinez qui devait rester le rédacteur en chef de Camera de 1956 à 1964 et qui, jusqu’à sa disparition en 1990, continuait à accueillir dans son appartement de la rue de Seine tout ce qui comptait dans la photographie. On y croisait aussi bien Cartier Bresson, Riboud, Tabard, Jean-Loup Sieff, Willy Ronis, que quelques débutants venus échanger avec lui leurs premiers tirages contre de judicieux conseils. Et d’une manière générale, tous les amoureux de la photographie.

J’allais souvent lui rendre visite. Je passais avec lui autant de temps que me le permettaient des activités trop nombreuses qui auraient rempli la vie de plus d’un. Son cœur fragile, les médicaments qu’il prenait de ses mains tremblantes, lui faisait avoir des craintes pour moi dont il trouvait la vie trop trépidante... Un magazine, une galerie, un salon de thé, bientôt un, puis deux bistrots de vins et toutes ces rencontres du matin au soir avec des photographes, vieilles connaissances ou nouveaux venus.

« Tu en fais trop... Tu sais ce que Dumas disait de Nadar ? : « Ce diable d’homme à les viscères en double...» »
Je répliquais : « Bof... Il est mort à 90 ans ». Histoire, sans doute de me rassurer.

Nous devisions donc de tout et de rien, de politique, de la guerre d’Espagne, de Capa, de Bill Brandt ou de Brassaï que je venais d’interviewer, et bien sûr de ce qu’il savait, ou pensait de la photographie et des photographes. Souvent, juste interrompus par sa discrète épouse m’apportant un café dont elle le privait, nous n’avions pas vu passer le temps, et je continuais à l’écouter tandis que la lumière du soir trop faible pour que nous puissions regarder encore des photographies ou un vieux numéro de Camera ou de Du, venait un instant encore caresser sa trogne savoureuse de vieux combattant de Pancho Vila.

Quand je lui avais proposé de faire le texte du portfolio sur Demachy, il m’avait promis de rechercher dans le fouillis de ses archives, un des premiers numéros du Caméra des années 30 à l’époque où Adolf Herz, son premier éditeur, mettait le Pictorialisme à l’honneur.